Le design porteur de solutions sociétales

Il est toujours possible pour le designer de travailler pour les services de marketing, pour le ‘mieux vendre’. Mais souvent, le questionnement — explicite dans le cas du Design Thinking, implicite dans l’approche et l’éthique du designer — nous amène vers des projets qui ont des conséquences que l’on pense [ou du moins, que l’on espère] positives pour le public, voire la société, le monde, l’environnement.

De temps en temps, je tombe sur de tels projets. C’est en voyant le projet Flo, créé par des étudiants du Art Center College of Design en California ainsi que le Yale Business School, sur FastCoDesign que j’ai eu envie de revenir sur d’autres projets que j’avais signalé à mes étudiiants dans le passé.

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Flo / Image : DR

Dans l’article de Meg Miller, elle explique le problème : une écolière sur 10 sur le continent africain manque au moins un jour de classe par mois à cause de ses règles, d’après les estimations de l’Unesco. Plus de 50% des adolescentes en Éthiopie manquent entre un et quatre jours de cours par mois. Les conséquences de ces manquements est que les jeunes femmes ont moins de chance à finir leur éducation que les jeunes hommes. Et c’est sans parler des risques d’infection, et donc de maladie, de coût, voire de mort que ces problèmes d’hygiène provoquent.

Le projet de l’équipe de Flo est donc d’apporter une solution pragmatique, facile à implémenter, hygiènique, et respectueuse des coûtumes. Mais plus important, l’équipe propose que leur ‘solution’ n’est pas ‘la’ solution. Cela fait plutôt partie d’un tout pour parler de ce problème et pousser d’autres gens, d’autres équipes à proposer d’autres idées.

Le poisson chanceux

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Lucky Iron Fish / Image : DR

Ce projet date de 2011, mais c’est toujours d’actualité. Au départ, il s’agissait de femmes [encore !] dans la jungle cambodgienne souffrant d’une déficience de fer. C’est un problème endemique dans le pays où, à cause de ce manque, 60% des femmes sont confrontées à des accouchement prématurés, des hémorragies lors de l’accouchement, et des problèmes de développement fœtal. La réponse est simple, de mettre des morceaux de fer dans l’eau de cuisson, mais comment les inciter à le faire. Après avoir essayer différentes formes et présentations, l’équipe de Chris Charles, de l’Université de Guelp au Canada, est tombé sur un poisson de rivière local qui avait pour réputation de porter chance. Rapidement ils ont trouvé un forgeron du coin pour les fabriquer à bas prix, et ont réussi à persuader les femmes de les mettre dans l’eau de cuisson, pour porter chance. Les premières réponses sont positives, les femmes constatent moins de problèmes de vertiges, moins de maux de tête, et, il semble que l’anémie soit en baisse. En 2011, Chris Charles continuait d’y travailler pour son sujet de doctorat [qu’il a eu depuis]. Lucky Iron Fish est devenu une ONG qui continue et prolonge son travail sur le terrain.

Le design n’était pas simplement la question de choisir la bonne forme pour ce morceau de fer, mais aussi d’être à l’écoute de ces populations, de ses besoins et de ses coûtumes.

Le démineur en forme de tête de pissenlit

Massoud Hassani est originaire d’Afghanistan, un pays ravagé par différents guerres depuis au moins cent ans ! Lui et sa famille ont passé par beaucoup de pays avant de s’installer au Pays-Bas où il étudie à l’Académie de Design Industriel d’Eindhoven.

Qui dit guerre ‘moderne’, dit des mines antipersonnel. Des milliers, des centaines de milliers, voire des millions de ces dispositifs enfouis dans le sol attendent de se déclencher et tuer ou estrophier le passant, qu’il soit soldat ou enfant, vache ou chèvre. Voilà pourquoi des ONG cherchent depuis des dizaines d’années à interdire leur déploiement [voire même la fabrication] par des accords mondiaux.

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Mine Kafon / Image : DR

Pour son projet de diplôme, en 2011, Massoud Hassani a créé un détecteur/déclencheur de mines inspiré de jouets qu’il fabriquait en étant enfant. Cela a l’aspect d’une tête de pissenlit entourée de semences qui, baladé par le vent, permet de parcourir les champs, de cartographier son passage, et de déclencher des mines sans mettre en danger des gens autour.

À signaler aussi que ce dispositif figure dans l’exposition Invention/Design : regards croisés au Musée des arts et métiers à Paris jusqu’en mars 2016.

Conclusion

Ce qu’on peut retenir des ces projets est multiple. Tout d’abord, leur modestie. Aucun ne cherche à résoudre tous les maux du monde, mais je crois que nous serions tous d’accord pour dire que le monde, et surtout la vie de ceux concernés va un peu pour le mieux après l’intervention du designer. Cette modestie se voit dans aussi dans les moyens mises en œuvre. Aucun projet n’utilise la complexité technologique pour résoudre les problèmes, mais cherche justement des solutions simples et reproductibles par les populations concernées. Enfin, chaque solution parte de l’écoute, de l’empathie avec le public concerné. En étant proche des soucis et des problèmes de gens, en restant à l’écoute, on peut apporter des propositions pertinentes, éthiques, et respectueuses de l’autre.

Mes étudiants ont tendance à penser que le principal outil d’un designer est Photoshop, et parfois ne comprennent pas quand on ne parle pas de tels outils dans les cours. Pour moi, le principal outil du designer est son écoute, et sa capacité d’empathie. Ces projets sont, pour moi, la preuve.