Inspiration ou outils de conceptions : les alternative aux développements durables

Le sujet de grand projet de Victorien portait sur une autre approche du transport urbain, Flâne qu’il nous a présenté hier. Dans le cadre de notre série d’articles autour du COP21, j’ai trouvé intéressant, de demander à Victorien de revenir sur ce projet. Victorien nous a proposé deux articles. Ce deuxième touche plus sur les notions plus larges qu’il a rencontré en travaillant sur son mémoire en préparation de ce projet. Vous pouvez suivre Victorien sur Twitter ou sur son site. — Jonathan

Einstein disait : “A new type of thinking is essential if mankind is to survive and move toward higher levels” [1. Einstein, cité dans Atomic Education Urged by Einstein, New York Times, 25 mai 1946, p.26]. En d’autres termes, nous ne pouvons résoudre un problème avec le même mode de pensée qui l’a engendrée. Je ne peux m’empêcher de transposer cette citation à l’époque actuelle. La notion de développement durable existe depuis 1987, définie lors du rapport de Brundtland[2. Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Rapport Brundtland, 1987, Chap. 2, p. 40 (Introduction)]. Depuis cette date les solutions écologiques ne semblent pas avoir évolué de façon significative, ce qui m’amène à me poser la question : les initiatives amorcées au nom du ‘développement durable’ seront-elles suffisantes pour désamorcer les problèmes écologiques actuels ? Faut-il croire / espérer / concevoir suivant une idéologie différente ? Quels courants actuels, même minoritaires, peuvent inspirer les designers de demain à créer les solutions du futur ?

I. Les opposants du développement durable

Les principaux opposants au développement durable sont les décroissants, car ils y voient en ces termes un oxymore. Selon eux, concilier productivisme, consumérisme et écologie est tout bonnement impossible. Dans son livre L’âge des Low Tech, Philippe Bihouix, ingénieur, expose cette contradiction ainsi : un peu de croissance pollue, beaucoup de croissance dépollue[3. Philippe Bihouix, L’ ge des low tech, Éditions du Seuil, avril 2014, Prologue]. En ces termes, il dénonce la croyance aveugle en la technologie à pouvoir nous sortir de l’impasse écologique sans revoir nos modes de vie. Il tente de démontrer son résonnement à l’aide de chiffres inquiétants. Le dysprosium est un métal rare utilisé dans la construction des éoliennes et des panneaux solaires. Or, selon un rapport du MIT a conclu qu’il faut multiplier par 26 les extractions du dysprosium pour faire face aux enjeux du changement climatique suivant le mode de consommation actuelle.

⏹ Anne Hurand a réalisé une très bonne enquête sur Comment vivre la décroissance dans une société de croissance ? Ce dossier de recherche regroupe 21 témoignages d’objecteurs de croissances ayant changé leur mode de consommation. C’est un très bon outil pour obtenir une vision humaine du problème.

II. les Low technologies et le design

Si les ingénieurs ne peuvent répondre aux problèmes écologiques, les designers peuvent-ils le faire ?

L’Écal répond à cette question de façon remarquable, en prouvant que les hautes technologies ne sont pas forcément nécessaires à la fabrication de produit de consommation. Les basses technologies sont connues pour leur faible coût énergétique, alors pourquoi ne pas les utiliser davantage ?

[Vidéo] ECAL Low-Tech Factory

Les étudiants d’Écal ne sont pas les seuls à aborder la question, on retrouve de nombreux projets partout dans le monde. Les bénéfices recherchés ne sont pas forcément écologiques, ils peuvent être financiers dans le but de produire des objets plus accessibles.

Un étudiant invente un procédé de centrifugation du sang Low-Tech à l’aide de son vélo.[4. Jack Albert Trew, «Spokefuge», 2014.]

[Vidéo] Mine Kafon, par Massoud Hassani, permet de déminer des terrains à faible coût

Goedzak, parfois un simple sac-poubelle transparent s’avère plus efficace qu’un arsenal d’application ou de siteweb d’ecosharing

III. Slow design et sensorialiaté durable

Cependant, en tant que designer d’interaction, je me demande la place de l’humain dans tout ça ? Nous parlons ci-dessus de technologie. Quelle est la place de l’utilisateur et de son expérience dans une approche écologique ? Qu’a-t-on personnellement à gagner à la construction d’une société écologique ? Oublions la technique et questionnons-nous sur l’impact moral que le rythme de notre société impose à nos citoyens:

D’après Hartmut Rosa, enseignant de sociologie à l’université Friedrich Schiller d’Iéna, la ressource la plus rare du 21e siècle n’est pas le pétrole, auquel on peut substituer d’autres matériaux, mais le temps :

Ce qui frappe le plus à notre époque, c’est que notre difficulté à gérer le temps augmente proportionnellement à notre capacité à en gagner. […] Mais dans tout ce que nous faisons, nous avons l’impression que les choses ne vont pas assez vite, que nous perdons un temps précieux[5. Hartmut Rosa, cité dans La ressource la plus rare au 21e siècle, c’est le temps (Arte), Question 1].

Pour Hartmut la société est devenue trop rapide pour le vivant et les rythmes naturels et économiques sont désynchronisés :

En fin de compte, le psychisme humain est lui aussi déconnecté. Les hommes et les femmes ne peuvent pas s’adapter aux changements à n’importe quel rythme, ni se réinventer en permanence. Le nombre croissant de cas de burnout, de dépressions, de troubles liés au stress et à l’angoisse semble directement lié au fait que les êtres humains n’arrivent plus à faire face au rythme effréné des changements auxquels ils sont exposés et à l’accélération de la vie sociale. Nous réagissons alors en décrochant au niveau psychologique. Et la dépression est une forme de désynchronisation[6. Ibid. 26].

Et si trouver une réponse écologique était une manière d’acquérir plus de bien-être ? C’est ce que pense le Slow Design et le temps en serait une notion clé.

En effectuant des relevés sur des combinaisons en papier carbone portées par des modèles, notant et localisant chaque ligne de pli et chaque zone de frottement, Marie Ilse Bourlanges a analysé le comportement des vêtements à l’usure. Son travail a abouti à une collection de vêtements conçus dans l’anticipation et en témoignage de leur usure future. / Montage réalisé dans le cadre d’article de Disruptions.fr par Victorien (.net)

Une des notions majeures formulées par le Slow Movement est la “sensorialité durable”[7. Slow Food Association, Slow+Design : Manifesto, octobre 2006]. C’est-à-dire de faire appel aux sens dans l’expérience d’un produit ou d’un service afin de sensibiliser l’utilisateur au bénéfice d’une approche durable. L’objectif est que l’utilisateur capte les bénéfices sociaux, écologiques et individuels associés. Je dirais suivant mes termes et ma propre vision de cette philosophie que concevoir tel un slow designer c’est porter l’accent sur le bien-être obtenu par une démarche écologique et non sur le gain écologique lui-même. C’est sous cette philosophie que j’ai conçu mon projet Flâne :

Flâne permet de trouver le chemin où le potentiel bien-être est le plus élevé.

IV. Les nudges

Ce qui est intéressant dans le Slow Design c’est le discours positif qui l’apporte, et ceci en opposition des mouvements écologiques parfois caractérisés par l’autopunition. Cet élan de positivisme on le retrouve dans les nudges :

Comme le rappelle Olivier Oullier chercheur en neuroscience à l’université d’Aix-Marseille:

les consommateurs jugent la protection de l’environnement primordiale, mais la perçoivent aussi comme un ‘truc’ contraignant de plus, qui s’ajoute à une longue liste : utiliser un préservatif, manger équilibré, faire du sport, se faire vacciner contre la grippe, etc. il convient donc de rendre plus facile l’adoption d’un comportement vertueux désiré par les citoyens eux-mêmes[8. Olivier Oullier, cité dans Les nudges : incitations vertueuses ou flicage invisible ?, Usbek & Rica n°13, p.70].

L’idée des nudges est d’inciter les utilisateurs à une démarche positive sans qu’il s’en rende compte et surtout sans les punir ni les contraindre. Cette méthode venue des États-Unis commence à faire fureur en France. Certains voient en elle une solution pour l’écologie d’autre comme de la manipulation. Elle se présente sous différentes formes :

La mise en compétition

Opower a mis en compétition ses clients en indiquant, sur les factures, la consommation énergétique de la famille, de celle qui dépense le moins et la moyenne de toutes. Résultat, 2 % d’économie d’énergie sur l’ensemble du réseau, ce qui n’est pas rien à l’échelle d’Opower.

Le choix par défaut

À l’Université Rutgers, on a paramétré toutes les imprimantes pour imposer l’impression en recto-verso. Bilan : 7 millions de feuilles économisées en un semestre, soit 620 arbres ![9. Source : http://www.terraeco.net/Les-nudges-ces-coups-de-pouce-qui,16248.html]

La gamification

L’aéroport Schiphol d’Amsterdam a réussi à baisser de 80 % ses dépenses de nettoyages dans les toilettes en usant d’un génial artifice : une mouche gravée dans l’urinoir a mis au défi les hommes de viser plus juste.

V. Conclusion

Pour conclure, je dirais qu’il est important en tant que designer d’avoir un esprit critique et ceci même sur nos propres modèles de conception. Contrairement à ce que sous-entend le titre, la notion de développement durable n’est pas forcément à jeter, mais il est important d’aller explorer les modèles opposés afin de mettre en lumière ses points faibles. À l’exemple du greenwashing, une pratique commerciale qui consiste à utiliser des arguments environnementaux souvent trompeurs pour vendre des produits qui ne sont pas, la plupart du temps, si verts. Le comportement de l’utilisateur est souvent la clé et croire que la technologie peut tout régler est à mon sens une erreur d’autant plus que le High-tech a souvent un cout environnemental non négligeable. Il faut prendre le temps de réfléchir à l’impact, à cours et long terme, des produits que nous réalisons.