Avant de procéder, il est peut-être intéressant d’examiner quelques termes de vocabulaire. Non, parce que ces idées sont compliquées — loin de là — mais un vocabulaire précis nous permet de savoir de quoi on parle, de mieux cerner certaines parties de la discipline, puis, parfois, d’ouvrir des voies d’exploration intéressantes.
Vers une typologie des possibles
Le multimédia n’est pas forcément multi-sensoriel
On peut considérer le multimédia comme un ancêtre du DI, ou du moins, une des premières approches vers le grand public. Son apogée fut probablement les CD-ROM et DVD-ROM produits à la fin des années 90 et le début des années 2000. Avant le multimédia, on parlait souvent de ‘audio-visuel’ ; c’était une idée semblable, de mélanger des supports — texte, visuels, son — pour créer une expérience plus riche. Le grand apport du multimédia était l’utilisation presque systématique d’hyperliens pour créer des expériences non-linéaires qui, certes, existaient auparavant, mais étaient généralement moins évidentes à implémenter.
Or, il est intéressant de rappeler que notre vie dans le monde physique est toujours multi-sensoriel. Un livre peut être une expérience multi-sensoriel fait des interactions entre le texte, le moment, le lieu, la tasse de café qu’on place à côté du livre, le bruit ambiant ou musique de fond, le film intérieur qui se déroule pendant la lecture, les références et associations qu’apporte le texte…
Le multimédia — sur écran ou dans un environnement — cherche à construire une expérience multi-sensorielle pour rendre l’information ou l’expérience plus riche et plus marquante, de créer des associations et des apports non-linéaires.
Le monde du tangible
Le tangible est littéralement ce que l’on peut toucher dans le monde physique, ce que nous appellerons notre monde réel. Une partie du DI cherche à comprendre — voire susciter ou provoquer — des interactions à travers des interfaces non pas sur écran, mais ayant une présence dans le monde réel, soit en tant que contrôleurs [fondamentalement un objet physique qui nous permet de manipuler des données], soit en tant que manifestations de ce qui se passe avec des données digitaux [des données numériques ont des conséquences ou provoquent des changements dans le monde réel, à travers des objets parfois perçus comme étant non-numériques].
En tant qu’humains, nous avons passé beaucoup de temps à manipuler des éléments du monde réel. Ces objets apportent aussi des références, des associations, et des ‘affordances’ [la potentialité] donc leur appréhension, et par extension, l’appréhension [voir la préhension] des données sous-jacentes peut être facilité. C’est aussi l’idée derrière des interfaces non-tangibles qui utilisent des métaphores [ou analogies] des éléments du monde physique pour faciliter l’interprétation et la communication.
Parfois, des objets tangibles fonctionnent par analogie, mais parfois le fait d’utiliser un objet du monde réel mais incongru, facilite la liaison et la manipulation des données.
Du numérique au digital
Les circuits électroniques les plus usuels que nous utilisons ont été créés pour manipuler des données binaires, et par extension, des chiffres [des valeurs mathématiques]. On parle donc de numériser des informations du monde réel pour permettre leur traitement, soit par l’électronique, soit par l’informatique. Le mot digital est donc un anglicisme. Mais ce n’est pas forcément un mal. De parler du digital permet d’envisager la transformation par l’apport du numérique au lieu du numérique en propre. Ainsi on comprendra ‘un traitement numérique’ comme la simple acquisition et transformation de données par le biais de l’électronique. Mais ‘un traitement digital’ permet d’élargir le champ des idées vers toutes les possibilités qu’offre la diffusion du numérique dans notre monde moderne. Tant que nous respectons cette différence dans les formes et n’employons pas numérique et digital comme de simples synonymes, cet emprunt à l’anglais peut rendre notre compréhension plus riche.
L’analogique
Par opposition avec les données numériques, notre monde est analogique. Nous avons des données en continue, présentant des continuum presqu’infini de variations.
Une explication simple est la différence entre un disque vinyle et un CD. Sur le disque vinyle, la forme de l’ordre sonore est continue et même apparente dans les sillons du disque. Ce signal est reconstitué à partir du disque puis amplifié. Sur un CD, le son a été échantillonné à 44.1 kHz [44100 fois par seconde] et traduit en une valeur numérique. De la même manière qu’un film est composé d’au moins 24 images statiques projetées chaque seconde, puis notre perception donne l’illusion que nous sommes en train de voir des images mouvantes, le taux d’échantillonnage d’un CD est suffisante pour tromper nos ‘oreilles’ sur la gamme de fréquences audibles, et ces données parcellaires donnent l’illusion d’un son continu. La forme de ces deux supports est aussi révélateur de leur nature, le vinyle est un seul spirale en continu du début à la fin, là où un CD présente une série de creux placée tout au long de cercles concentriques.
Bien sûr, il n’est pas obligatoire de numériser/échantillonner des données de notre monde physique et analogique. Il existe des processeurs de captage et de traitement qui sont capables de travailler en continue. Généralement dans ce cas, les données analogiques sont plutôt captées sous forme d’équations décrivant la forme des données continues et d’autres traitements mathématiques peuvent ensuite les manipuler. Mais le traitement discret [ou numérique] est l’approche le plus habituel.
La notion d’augmentation
C’est une notion qui est souvent utilisée dans des concepts du genre ‘réalité augmentée’. La notion d’une ou plusieurs couches, présentes grâce aux appareils numériques, se calant sur le monde physique/tangible et qui approfondissent leur contenu ou possibilités.
Mais il est intéressant de considérer l’augmentation comme étant une graduation et non pas forcément seulement une surcouche apporté par le numérique. Prenons le cas, d’un livre : même si ce n’est pas le cas pour nous aujourd’hui, mais la première fois que quelqu’un a eu l’idée d’incorporer un index dans un livre, cela devenait une augmentation de la version précédente. De même, un livre PopUp ou animé [mais toujours physique/tangible] peut aussi être considéré comme une augmentation du livre antérieur et plat. La numérique n’est donc qu’une partie d’une échelle graduelle et ça peut être intéressant, pour un projet donné, d’imaginer l’étendu de cet échelle.
Pour finir, il peut aussi être intéressant d’imaginer l’augmentation, éventuellement traité comme un jeu, comme la possibilité de créer des ponts entre une expérience digitale et le monde physique.
À suivre.
Voir aussi
Designer, teacher, co-fondateur de Disruption[s]