Ces jours-ci, les fils RSS que je suis ne parlent que de porridge. En plus, il me semble que chaque autre site que je consulte parle de porridge aussi. Pour ceux qui ne savent pas, le porridge est une sorte de bouilli fait d’avoine et de lait ou d’eau, souvent servi avec une cuillerée de miel. Mon dico me dit qu’en français on dit ‘gruau d’avoine’. C’est bourratif, mais surtout fade et un peu insipide.
OK, j’avoue. Je suis en train de mentir. C’est le nouveau logo de Google que je vois partout.
Tout d’abord, un peu de vocabulaire. En anglais on parlerait aujourd’hui de wordmark. C’est le cas quand l’identité d’une marque, produit ou service est réduit à une forme d’écriture, généralement typographique. De plus en plus on associe le logo à une image, signe ou symbole qui représente une marque – la pomme d’Apple, par exemple. Ce qui est curieux car le premier sens de logo vient de ‘logotype’ dont l’étymologie signifie ‘logo’ [mot] ‘type’ [imprimé]. Mais c’est ainsi que va le monde…
Donc, on est dans l’identité du mastodonte Google, désormais filiale d’Alphabet. Ce wordmark fait partie d’un ensemble, les couleurs, l’animation de transition entre ce wordmark et les différents produits — Voice Search, Google+, et que sais-je encore. Je ne pense pas avoir besoin de le décrire car il a été montré absolument partout.
Le moment du changement est assez logique. Avec la création d’Alphabet comme entité fédérateur pour Google, Nest, Google X, Google Ventures, Calico, Fiber… Nous sommes clairement dans le même univers graphique. Un sans serif sans prétention, une couleur vive, et rien d’autre.
Alors pourquoi ai-je commencé par parler de la bouilli d’avoine ? Parce que, fondamentalement, c’est la même chose. C’est passe-partout, probablement nourrissant, un choix probablement sain et sans problèmes. Et aussi avec plein de bienfaits pour le transit intestinal. Avec des touches de couleur façon Benetton des années 80, ou d’Ikea – le logo, je veux dire, pas le porridge…
Il y a une tendance chez les grosses sociétés – voir les très grosses – du monde moderne à aller vers ce genre de graphisme conventionnel et sans aspérités. Voir le trajet d’Apple, de Microsoft, de Facebook, ou d’Ebay. On peut même dire que c’est le monde à l’envers quand c’est le logo – pardon, wordmark – de Yahoo! qui sort le plus du lot, non ?
Quand on voit les croquis/photos du processus chez Google, on peut dire que les designers connaissent bien leurs classiques. Si la typographie a une petite air de Futura, savamment redessiné [et matiné de Proxima Nova] – et comme Google adore utiliser des substantifs concrets et sans fioritures, ils ont appelé leur police ‘Product’ – avec, en plus, ce ‘e’ incliné comme les polices venitiennes [ou le Kabel de Rudolf Koch, contemporain du Futura], les croquis démontrent des pistes beaucoup plus proches des dessins de Paul Renner, le créateur de Futura, avant que la police ne soit ‘lissée’ par la fonderie Bauer.
Comme le Material Design [qui n’a rien du design, étant une série de consignes, une approche esthétique ou stylistique, accompagnée de conseils pour le comportement d’éléments sur écran qui sont censés rappeler les éléments tangibles du papier, par moments] on est dans un apparence censé plaire au plus grand nombre, ou du moins, n’offusquer personne.
Alors qu’est-ce que je pense du ‘nouveau logo Google’. Je pense que c’est une réussite totale. Ils ont récupéré pour des millions de dollars de publicité, et ce gratuitement. Les journaux, les sites, le public débattent et en parlent. Et personne, en fin de compte, ne peut dire grande chose contre, car un de ses principes de base est d’être lisse et de ne pas donner prise à grande chose.
Je pense à ce superbe texte de Neville Brody – Now What? – qui date pourtant de 2003…
Nous [les designers] sommes les intermédiaires, les bonnes âmes placées entre un public et son information. Nous sommes ceux qui aident les lecteurs à se forger une opinion par la manière dont nous interprétons et présentons les idées. Nous sommes ceux qui décident de la signification d’un article et de la réaction appropriée face à celui-ci.
et…
Je vis dans un monde uniformisé, où les moyens de distribution eux-mêmes ont créé une culture prémâchée, comme la nourriture. L’acte de produire signifie que tout doit être vendu, simplifié, facilement diversifié à partir d’une même liste d’ingrédients de base. La culture, le cinéma, la musique, la littérature, l’art, le tourisme, l’architecture, les magazines pourraient tous être livrés avec une liste d’ingrédients, comme la nourriture de supermarché, avec des additifs exhausteurs de goût pour rendre la fadeur appétissante et addictive. Il n’existe plus maintenant que des différences ténues entre les produits ; les qualités uniques définissant une chose comme individuelle sont mineures, mais on les vante bruyamment.
Et pour finir…
Nous pouvons parler d’amour de notre prochain, d’opportunité, d’apprentissage et d’éducation. Nous pouvons aider à utiliser nos outils à éduquer, au lieu d’imposer. Nous pouvons rompre la spirale
Nous devons apporter une nouvelle, une véritable signification à cette expression, ‘pensez différemment’, et voir ce qu’on peut faire de vraiment différent.
Pour répondre à la question – le titre de cette conférence – ‘Et maintenant ?’, tout ce que je peux dire, c’est que je ne sais pas. Mais si nous ne déchirons pas les plans, nous ne le saurons jamais.
Google avait l’occasion de dire : nous sommes Google – vous nous connaissez, vous utilisez nos produits : Search, Advertising, Android, YouTube, Docs, tous ces machins-là… – on fait des choses formidables que vous utilisez tous les jours, plus encore, que vous appréciez tous les jours. Les autres projets fou [les robots qui font peur et les gens qui veulent vivre éternellement] sont partis ailleurs. Nous allons nous concentrer sur ce que nous faisons bien, le faire bien, et, peut-être, ce faisant, on va changer le monde. Ou du moins, le rendre un peu meilleur. Et avoir un logo qui déconnait, qui changerait tout, qui innoverait, qui changerait chaque jour, ou pour chaque personne, qui changerait de couleur ou de forme selon le bonheur dans le monde, selon l’humeur de mes proches, ou qui serait une fenêtre ouverte, chaque jour différent sur une autre partie du monde pour nous faire partager la vie des autres. On aurait pu avoir un logo qui a de l’ambition.
Au lieu de cela, nous avons un logo consensuel. Oui, c’est cela le mot que je cherche depuis le début. Consensuel, passe-partout. Et c’est très bien. On peut désormais mesurer les ambitions de Google d’après ce nouveau logo – surtout ne pas faire de vagues.
— Image d’entête : le nouveau wordmark de Google / DR
Voir aussi
Designer, teacher, co-fondateur de Disruption[s]
Très intéressant ! Ça correspond en grande partie a ce que je pensais : ce nouveau logo est propre mais paradoxalement, Google perd de son identité et devient un peu plus “commun”.
Un des aspects que nous n’avons pas aborder : le motion. Je pense qu’ils ont senti cette perte d’identité et ont voulu refaire pencher la balance grâce à l’animation des fameux points, mais c’est comme jeter un caillou dans une mare … (“Ce n’est pas très efficace”)
Oseront-ils casser les codes et faire quelque chose de complètement fou ? De toutes façons, Google restera Google.
PS : Merci beaucoup pour le texte de Neville Brody !
Passe partout et cela fonctionne, bien que surprenant au départ -le regard est tellement habitué à voir toujours la même chose- et sans grande prise de risque. Néanmoins, la favicon me dérange plus, passer d’un bleu unique à quatre couleurs, pour l’instant je met le double de temps par rapport à avant à chercher mes pages google quand j’ai beaucoup d’onglets d’ouverts…il y a là un réel changement sans réel explication à mon sens.
Dérangeante volonté de ne pas déranger…
Je n’avais pas vu la chose sous cet angle. L’absence d’ambition affichée de la part du groupe peut-être le plus puissant de la planète a de quoi donner le vertige en effet…