Concours de livres tactiles

Typhlo & Tactus

Normalement, je n’aime pas parler des compétitions. Je les perçois comme des arnaques pour les participants, et ce, principalement envers des étudiants qui n’ont pas encore construit de bonnes défenses immunitaires contre ce genre d’escroqueries.

Ceci dit, je vais parler d’un concours organisé par l’association Typhlo & Tactusle concours international d’albums tact-illustrés

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un album tact-illustré ? Une fois qu’on y pense, c’est évident. C’est un album, c’est-à-dire, un livre à destination de jeunes enfants, composé principalement d’images avec de courts textes d’accompagnement qui est aussi bien accessible visiblement — pour les voyants — que de manière tactile [texte et images] — pour les malvoyants et aveugles.

Le concours consiste donc, d’abord, à concevoir une histoire à destination de votre public, puis de concevoir le livre/objet — une pièce unique au début — afin qu’il puisse être appréhendé et apprécié, aussi bien par un public de voyants que de malvoyants et aveugles. Je ne vois rien dans les règles qui s’oppose aux fait de se mettre à plusieurs pour ce faire. Sur le site [attention les yeux], il y a des conseils pour aider… Puis le soumettre avant la date limite, le 31 août 2019, à l’association organisatrice. Ouvert donc aux écrivains, aux graphistes, illustrateurs, typographes… et Makers.

Il est clair que le concours promeut plutôt une approche artisanale de la fabrication d’albums. Mais, à priori, les règles n’excluent pas d’autres approches comme le thermoformage, ni l’électronique embarquée, ce qui, avec la miniaturisation des composants et des capteurs, permettrait de créer des expériences sensorielles inédites pour tous les publics.

Au niveau du concours, il aura été peut-être intéressant de faire des distinctions dans les âges et les finalités des livres : les besoins d’un petit de 2 à 3 ans, ne sont pas les mêmes qu’un enfant de 8 à 10 ans. Comment on peut aussi aborder la notion de manuels à travers la tactilité ? Ou les premiers romans où les images peuvent diminuer d’importance mais aussi avoir leur place ? Que dire des bande dessinées aussi ? En comme indiqué plus tôt, l’augmentation des livres par le numérique ? Tel qu’il existe actuellement, on a plutôt l’impression qu’on ne parle qu’aux enfants de moins de 5 ans…

Une information manquante sur ce site est le devenir de ces livres. Existe-t-il des accords avec des éditeurs pour la production et distribution ? Comment les albums sont distribués à la suite ? Sont-ils mises en vente, renversés à des associations, distribués ou donnés à des bibliothèques ?

Le rôle des bibliothèques est particulièrement important : non seulement, les bibliothécaires sont de formidables médiateurs qui connaissent particulièrement bien leur public, mais de plus ça permet un accès très facile pour tout le monde. Enfin, le fait de permettre à tout le monde, voyants ou mal- ou non-voyants, d’emprunter ces livres, travaille aussi à la compréhension mutuelle, même pour les petits. Personnellement, mes enfants ont adoré appréhender et manipuler des livres tactiles lors de visites à la bibliothèque, et ça permet, justement, d’entamer des discussions sur l’handicap et la différence, l’accessibilité et les difficultés.

En tout cas, c’est un projet que je trouve intéressant et j’encourage les étudiants à y penser. Tant que vous y allez les yeux grands ouverts — c’est vraiment que pour la gloire, il n’y a pas de recompenses financières. Mais c’est aussi un moment de réflexion sur l’accessibilité, sur la notion de livre et comment l’aborder sous une forme non-traditionnelle, sur le partage et l’exploration de la différence.

Une note de fin…

Je suis horrifié par le site web de cette association, et normalement, la présence d’un tel site aurait été un facteur éliminatoire. Pourquoi ? Tout d’abord, parce que le soin et l’attention aux détails appliqué à un site web, donne un bon indicateur du sérieux de l’organisme — service, produit, association — auquel nous faisons face. Ici, il faut plutôt faire confiance à la longévité du concours et les différents labels comme preuve de sérieux.

Ensuite, le code [oui, j’ai regardé, je suis ce genre de personne] semble être tout droit sorti des années 90. D’abord, il utilise des tableaux, il est hyperchargé de balises, rempli de choses inutiles, n’est plus aux normes, fait appel des fichiers en local sur l’ordinateur de la personne qui a crée le site [file:///C:/Program%20Files​/​EasyPHP1-8​/​www​/​u36404723​/​tactus​/​belgique​/​page_accueil.htm !]. Il doit être quasi-impossible d’entretenir, et doit échouer au moindre test de validation d’accessibilité, notamment pour les aveugles et malvoyants — un comble. Les images n’ont même pas d’attribut ‘alt’, ce qui est vraiment la moindre des choses… J’ai des doutes sur le grand nombre d’informations qui ne sont disponibles qu’au format PDF [même si ces derniers sont accessibles — et ce n’est pas sûr — ils cassent la continuité de lecture…]. Le site n’est pas responsif, alors, ne pensez même pas à y accéder à partir d’un smartphone.

Il y a une ignorance très marquée de la notion d’architecture d’information, ce qui fait que les informations sont essaimées au-petit-bonheur-la-chance sur la page — à titre d’exemple, cherchez les primés des années passées…

De plus, le site mélange l’anglais et le français, sans utiliser des attributs de langage permettant au visiteur de naviguer correctement dans le contenu, ni d’employer les ‘bons’ voix lors d’une lecture en synthèse sonore.

Mais au-delà de ça, je ne comprends pas comment une association qui cherchent à nous sensibiliser, justement, sur la question de l’accessibilité des malvoyants et aveugles à la lecture, à la culture, au partage de connaissance et expériences, peut se permettre de s’afficher envers le public sous cette forme — largement inaccessible.

“The power of the Web is in its universality. Access by everyone regardless of disability is an essential aspect.” [Le pouvoir du Web se trouve dans son universalité. L’accès par tout le monde, peu importe son handicap, en est un aspect essentiel.]

Tim Berners-Lee, Directeur du W3C et inventeur du web