À propos du ‘Brexit’

petition to revoke article 50 not to leave Europe

Je suis non seulement d’origine britannique, mais à ce jour je suis toujours sujet britannique [1]. Ceux qui lisent mes articles ici l’ont certainement compris à cause des fautes d’accord et autres maladresses que je commet assez souvent [toutes mes excuses d’avance…]. J’habite et travaille en France grâce aux règles et accords de la communauté européenne. J’y vote aussi — lors des élections municipales et européennes. J’y habite depuis plus de 40 ans maintenant ; mes enfants et petits-enfants sont nés ici, et sont tout ce qu’il y a de français.

Il n’est pas rare que les gens me parlent de Brexit. Certains pour me taquiner ; d’autres m’interpellent comme si, moi seul, je serais non seulement responsable du Brexit, mais aussi de la politique et les stratégies de négociation du gouvernement actuel [ou de leur absence] ; d’autres encore pour me présenter leur condoléances devant ce manège de cirque triste que les britanniques [restés au pays] ont réussi à mener depuis maintenant presque trois ans. 

Pour information, j’y suis pour rien. Non seulement les britanniques ne permet pas à ceux qui habitent en-dehors les frontières du pays de voter lors que quelque élection que ce soit, mais les termes du référendum spécifiaient que ceux qui n’habitaient plus le pays depuis plus de 15 ans n’avaient pas le droit de participer. Donc, j’avais doublement pas de droit à la parole. Mais si j’avais pu, j’aurais voté résolument contre. 

Je ne suis pas né européen, je le suis devenu quand le Royaume-Uni est entré dans la communauté européenne le 1er janvier 1973. Comme je n’avais pas l’âge de voter à l’époque, je suis reconnaissant que d’autres ont pris une décision que j’estime, probablement, impopulaire, mais éclairé. Je ne prétends pas non plus que le système européen soit parfait, il reste largement perfectible, mais c’est le propre de tous les institutions humaines. De plus, il a largement atteint ses objectifs, tels que je les voient : 

  • créer un bloc pour faire entendre des idées et valeurs propres à contre-carrer d’autres discours, au départ ceux venant des pays Soviets et les États-Unis ; de nos jours ce serait la Russie, la Chine, et toujours les États-Unis
  • mais aussi de créer des conditions de paix et d’entente afin que les guerres de 14–18 et 39–45 ne peuvent plus se produire.

Encore une fois, ceux-ci restent des objectifs. Des événements tristes et belliqueux, y compris sur les terres d’Europe, sont là pour nous le rappeler. Mais globalement, mes enfants, mes petits enfants, et les étudiants que je suis fier d’encadrer, grandissent dans un monde plus stable, plus paisible, plus ouvert que n’a été le monde de mes parents, de mes grands parents, et de leurs parents encore.

Jusqu’ici, je n’ai pas voulu en parler en public de mon point de vue. Il y a tant d’avis et points de vue, de bruit et de fureur, que si l’on n’a pas quelque chose d’utile à rajouter au débat, autant se taire.

Mais, par une sorte de déformation professionnelle, je reste passionné par les systèmes et structures, et comment on peut apprendre de ce qui se passe…

Il faut savoir que le Royaume-Uni est un pays qui utilise un système politique de représentation parlementaire. Celui qui vote, en quelque sorte, délègue son vote, son point de vue, à un élu parlementaire qui va le représenter de manière semblable à ce qui se passe en France. On peut pinailler sur la vrai représentativité et équité du système britannique, mais c’est le système en place. Ce n’est donc pas un pays référendaire où toute question majeure est soumise à une vote populaire. Le référendum est l’exception, et non pas la règle.

Il est intéressant de contraster comment les britanniques ont géré cette exception avec un autre pays qui a récemment eu à faire face à des referenda majeurs, l’Irlande.

L’Irlande a récemment voté — par référendum — afin de lever l’interdiction sur l’avortement et le mariage pour tous. Afin de préparer le terrain pour ces votes et entendre toutes les voix d’une manière équitable et dépassionné, le pays a utilisé un dispositif particulier, la Convention sur la constitution. Ce dispositif est composé de 66 citoyens, choisis au hasard,, 33 élus venant des deux chambres du Parliament, ainsi que l’assemblée de l’Irlande du Nord, et un président indépendant. Pour le débat sur l’avortement, un dispositif semblable, l’Assemblée des citoyens, a été employé. Cette assemblée comprenait un président, nommé par le gouvernement, et 99 citoyens ‘choisis de manière aléatoire afin d’être globalement représentatif de la société irlandaise’ en termes d’âge, sexe, classe sociale et région d’origine.

Toujours tiré de l’article de Michela Palese ‘The Irish abortion referendum: How a Citizens’ Assembly helped to break years of political deadlock’ [Sur le référendum sur l’avortement en Irlande: comment une assemblée des citoyens à aider à casser des années d’impasse politique] sur le site de l’association du reforme des élections aux Royaume-Uni : cette assemblée a délibéré en cinq sessions de novembre 2016 à avril 2017. Les membres ont consulté 25 experts et 300 soumissions [parmi les 12 000 que l’assemblé a reçu] de la part du grand public et des associations concernées. Les membres de l’assemblé ont adopté les principes suivants afin de les guider : la transparence des procédures, l’équité de traitement des oints de vue et les informations fournies, égalité de parole entre les membres, efficacité, respect, et la collégialité.

L’assemblée a ensuite délibéré et rendu son rapport et ses recommandations en juin 2017. Ce qui a permis de dégager un consensus national en amont du référendum, et de dépassionner le débat.

Au Royaume-Uni nous avons vu tout l’opposé : la proposition de loi permettant le référendum a été présentée en mai 2015, pour devenu loi en décembre. Il n’y a pas eu de débat ou de consultation au préalable, ni sur la nécessité d’une vote, ni sur les conséquences et choix de ce vote, ni sur la portée [consultation ou contrat ?] Le vote a eu lieu en juin 2016. La période de campagne a duré 10 semaines. La première version de la question destinée au public a été jugée inacceptable pour des questions de biais et déséquilibre. Il n’y a pas eu de période de consultation ou débat en dehors des campagnes de vote.

Le résultat est tel qu’on le connaît aujourd’hui : 48.11% des votants ont voté pour rester membre de l’Union Européenne, et 51.89% ont voté pour quitter. Le taux de participation a été de 72.21%, ce qui est tout à fait acceptable.

Par la suite, il y a eu le scandale Cambridge Analytica, et d’autres révélations de ‘fake news’ sur les réseaux sociaux [et dans la presse quotidienne] sans parler d’interférence russe, plusieurs campagnes ont été mises à l’amende pour infraction de la législation sur l’encadrement des campagnes électorales [et dépassement des montants engagés], plusieurs responsables de campagnes sont actuellement mis en examen pour actions illicites, et au lieu de chercher à dégager un consensus dépassionné sur la question de l’appartenance ou pas à la communauté européenne, sur les avantages et désavantages de cette appartenance, tout a été mis en œuvre — on dirait — pour chercher la division. Il faut aussi parler du rejet implicite de la situation en Irlande du Nord, et le processus de paix entamé depuis 1998, et la rare réconciliation en cours pour guérir les blessures causées par des siècles de conflit. Et une division qui a tout même engendré le meurtre d’une député en plein jour pendant la campagne, et l’exploitation de ce meurtre à des fins partisanes.

Le résultat aujourd’hui est presque trois ans d’immobilité et une fracture encore plus grande du pays [ou des pays — l’Écosse et l’Irlande du Nord ont voté majoritairement pour rester dans l’Europe, l’Angleterre et le pays de Galles pour quitter ; le Gibralter qui, incroyablement, fait aussi partie des votants était aussi majoritairement pour ; et même à l’intérieur de ces résultats il y a division : Londres a voté majoritairement pour rester, à l’opposé du reste de l’Angleterre].

En comparaison avec la situation en Irlande, on voit que la situation a été singulièrement mal préparée, tout se passant dans la précipitation pour des exigences de politique interne. Ce qui continue à ce jour.

Pour un designer, il paraît évident qu’un des systèmes a été conçu et réfléchi avec soin et attention, et l’autre… disons, que si on voulait que tout se passe mal, on ne serait pas pris autrement. Si on veux écouter et proposer des solutions, il faut qu’on construise des systèmes tolérants, à l’écoute, mais où le compromis inévitable fasse partie intégrante du système dès le départ.

Enfin, il y a le néologisme ‘Brexit’ qui est devenu le terme désignant, à tort ou pas, ce processus. C’est un mot valise constitué de ‘Britain’ et ‘Exit’. Mais, de ce fait, il détermine le débat par le négatif, par la sortie du Royaume-Uni de l’Europe. Pourquoi on ne parle pas de BrEU ou GB+EU ? Quelque part le fait que ce mot est devenu la désignation quasi-accepté de cette situation est indicative du peu de profondeur d’un débat qui se situe au niveau des ‘soundbites’ [petites phrases malignes et souvent assassines] plutôt que le sérieux et le débat de fond. De plus, c’est toujours une erreur de laisser une partie cadrer ou situer le débat au détriment de l’autre. Or, les mots ont du pouvoir, comme on voit avec l’utilisation du mot ‘piratage’ pour désigner la copie numérique éventuellement illicite, ou les mots ‘immigrants’ ou ‘migrants’ pour désigner des réfugiés… [Voir cet article intéressant sur comment le groupement Suisse Operation Libero parle de la nécessité de ne pas se laisser enfermer par les arguments des parties adverses.]

[1] J’utilise le terme Royaume-Uni par commodité pour désigner le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, et le mot Britannique pour désigner les habitants de ces territoires. 

— Image d’entête : l’accusée de réception de ma participation à la récente pétition pour pousser la Royaume-Uni à révoquer son annonce de départ et de rester au sein de la Communauté Européenne.