L’inspirante militante écologiste Greta Thunberg parlant devant les élus européens à propos des actions imminentes que nous devons faire pour s’attaquer aux effets catastrophiques du changement climatique a parlé de ‘cathedral thinking’ [la pensée cathédrale] en référence au feu tragique qui a frappé le cathédrale Notre-Dame.
Effectivement, ces monuments de la culture européenne étaient, comme nous avons tous appris à l’école, des chantiers qui dépassaient des générations. Même si Notre-Dame, elle-même, fut commencé en environ l’an 1160 pour être fini 100 ans plus tard, le chantier a continué ensuite à travers les siècles.
J’ai lu aussi que le feu qui a dévasté le toit et la flèche est considéré par certains comme étant le pire des catastrophes qui a jamais frappé Paris. C’est une exagération logique, dans le moment. Je comprends que pour beaucoup ce symbole a de l’importance, et non seulement pour des Catholiques, mais pour beaucoup de simples Parisiens qui sont habitués à cette silhouette rassurante de la vieille dame en bord de Seine, mais Paris a déjà vécu beaucoup de choses qui dépassent l’entendement dans sa vie. Les massacres suite à la Commune, la rafle du Vel’Hiv, et plus récemment les attentats du Bataclan et Charlie Hebdo. Nous pouvons recréer des monuments, ils ne sont que des œuvres humaines. Nous avons même le devoir de le faire, et d’en créer de nouveaux. Nous ne pouvons pas recréer ces vies tronquées, des familles blessées, le potentiel perdu de toutes ces vies… Qui sait quels créations et monuments sont perdus suite à ces morts ?
On parle maintenant de reconstruire Notre-Dame de Paris dans les cinq années de venir. Et on comprend. Qui voudrait vivre à côté de cette blessure ? Qui voudrait prolonger l’agonie ? Cinq ans, c’est une idée plaisante : c’est la durée d’un mandat présidentiel ; c’est la limite humaine d’un projet ou chantier, où l’on peut voir la fin. Il y a la perte de l’utilisation du lieu pour des croyants, la perte des rentrées du tourisme pour ce qu’on dit est le monument le plus visité du monde, il y a la nécessaire fatigue d’un chantier longue…
Mais si on décidait de dire : Non, on va prendre 50 ans. De fait, ça devient un chantier dont moi, personnellement, je ne verrais pas la fin. Je devrais apprendre à vivre avec cette blessure pour le restant de mes jours. C’est donc prendre un pari sur l’avenir, sur notre capacité à commencer quelque chose avec l’assurance que les générations suivantes vont devoir prendre le relai. C’est aussi une manière de transformer le chantier. Prenons le temps d’étudier à fond, de comprendre non seulement la construction mais les nécessités d’une construction qui durera et devra vivre encore mille ans. De devenir une école ouverte sur l’archéologie du lieu, sur les techniques de construction et reconstruction, sur la notion de patrimoine [de l’humanité], sur le sens. C’est aussi nous mette devant le fait que si on veut que ces lieux continuent de faire partie de ce patrimoine commun, il faut penser 100, voire 1000, ans dans l’avenir avec des moyens et des budgets en conséquence. Posons la question de comment, non seulement budgétiser un tel chantier, mais d’assurer la pérennité, la gestion, le suivi d’un tel projet.
C’est un défi qui me met en tête L’Horloge de l’année 10000 [Clock of the Long Now]. Stewart Brand, un des initiateurs de ce projet parle en ces termes : « Un tel horloge, si elle est suffisamment impressionnante et bien conçue, peut clarifier la notion du temps géologique pour les gens. Ça devrait être un lieu attractif [charismatique] à visiter, assez intéressant pour y penser, et assez connu pour devenir iconique dans le discours public. D’une manière idéale, elle peut faire de la pensée autour du temps ce que les photographies de la Terre vue de l’espace ont fait pour la pensée environnementale. De telles icônes fournissent un nouveau cadre de pensée pour les gens. » [Such a clock, if sufficiently impressive and well-engineered, would embody deep time for people. It should be charismatic to visit, interesting to think about, and famous enough to become iconic in the public discourse. Ideally, it would do for thinking about time what the photographs of Earth from space have done for thinking about the environment. Such icons reframe the way people think.]
Si on veut s’attaquer aux gros problèmes de notre monde, oui, il faut commencer sans tarder, mais, souvent, il est illusoire de penser qu’on peut aussi les résoudre rapidement. C’est la pensée ‘Move Fast and Break Things’ [Agir vite et casser des chose], là où on a plus souvent besoin de ‘Move Fast and Make Great Things’ [Agir vite, mais faisons de grande choses qui dureront…]. Dans notre discipline, dont le Design Thinking, on est dans l’immédiat, dans la résolution de problèmes, dans l’itération et le retour rapides. Mais si on veut vraiment effectuer un changement, pour le mieux, est-ce qu’il ne faut pas aussi penser à longue terme.
Peut-être que la meilleure chose que nous pouvons léguer aux générations à venir est cette ‘pensée cathédrale’ ; la mise en place de chantiers qui prendront certes des générations et des générations à achever, mais aussi, comme les constructeurs des cathédrales, la confiance et la certitude que ceux qui nous suivent verront la fin. Ce n’est pas un appel à inaction, à la procrastination ; il est urgent de commencer. Mais le fait d’entamer des tâches, non pas pour notre satisfaction et gratification immédiate, mais pour nos enfants, et leurs enfants aussi. Comme pour le changement climatique, l’exploration spatiale, les maladies orphelines… Oui, il faut que ça change, mais pour des changements qui dureront, pour le bien de tous, pour des générations à venir.
— Image du haut de l’article : Remi Mathis [Licence CC-BY-SA 4.0]
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Designer, teacher, co-fondateur de Disruption[s]